Droit du travail en Asie Pacifique et Covid-19

Le Covid-19 apporte des bouleversements dans de nombreux domaines, et le droit du travail n’est pas une exception.

On peut parler de déglobalisation dans la mesure où les droits du travail nationaux s’imposent désormais comme un élément incontournable de la gestion des ressources humaines à l’international.

Les principes généraux ne suffisent plus lorsque des licenciements, des réductions de salaire deviennent nécessaires, et lorsque les déplacements entre le siège et les filiales lointaines se font plus rares.

Un nouveau droit du travail émerge, qui réalise la synthèse entre les politiques de groupe et les contraintes juridique locales. Ce droit n’a pas encore de nom. Il est distinct du droit international du travail. Dans notre zone géographique, nous l’appellerons le droit social asiatique.

Joint-Venture en Chine

Lettre d'information N°5 - Une nouvelle branche du droit du travail émerge en Asie Pacifique dans l'après Covid-19

Ce qui a changé

La fonction essentielle du droit du travail est de réguler les rapports entre employeur et employé.

Ce droit a été conçu et s’est développé dans un contexte de proximité entre ses acteurs.

Dans un même territoire comme la France métropolitaine, cette proximité a été distendue par l’avancée du télétravail en réponse au Covid-19, d’une façon qui pourrait être durable voire permanente dans certaines entreprises.

A l’international, la distanciation n’est pas nouvelle. Mais elle a franchi une étape sans précédent.

  • Des mesures drastiques de réduction des coûts seront réputées nécessaires : suspension ou diminution temporaire des rémunérations, licenciements économiques, appréciation plus stricte et moins indulgente de la “mauvaise performance” justifiant un licenciement individuel.
  • Les procédures envers les employés seront soumises par ceux-ci à examen et contestation éventuelle au regard de leurs droits comme jamais auparavant.
  • Le lien de confiance entre employé local et employeur étranger (filiale et société mère) va en être profondément et durablement affecté.
  • On devra désormais moins compter sur la stabilité et la fidélité des équipes locales comme un moyen de compenser la diminution des effectifs de cadres expatriés au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire délégués par le siège pour exercer des fonctions clefs managériales ou techniques.
  • Les déplacements internationaux et notamment transcontinentaux devenant plus rares et espacés, l’autorité du siège telle qu’affirmée via les visites périodiques ou ad hoc de cadres dirigeants sera érodée.
  • Des solutions de remplacement vont devoir être trouvées, sous forme de contrats de travail et de procédures considérablement plus élaborés que les formules actuellement en vigueur.
  • La question de la compatibilité avec les droits nationaux ne pourra plus être ignorée.

Une branche nouvelle du droit du travail

Longtemps, le volet international du droit du travail et des relations sociales a consisté pour les services RH et Juridique des sociétés françaises à formaliser les détachements et expatriations.

La tentation était fréquemment de négliger les législations locales, que ce soit pour les employés envoyés à l’étranger et parfois localisés par la suite ou pour ceux recrutés à des fins locales, dans le pays même ou dans des pays tiers.

Sur la foi d’un a priori selon lequel il est possible et suffisant de s’inspirer, même hors de France, de “principe généraux” du droit du travail extrapolés du droit français.

Compréhensible un temps, cette approche est devenue obsolète, et une révision profonde des pratiques actuelles s’impose, qui devra inclure la reconnaissance et la connaissance des droits locaux du travail.

Les facteurs de déstabilisation du statu quo

Ceux-ci découlent d’une triple constatation:

  1. Le ralentissement global des affaires va conduire au rapatriement vers la France de certaines fonctions, à des relocalisations partielles de branches et dans des cas extrêmes à la suppression d’implantations entières à l’étranger. Ceci devra se faire dans les respect des règles locales afin de ne se fermer – par création d’une image négative de l’entreprise étrangère – ni des marchés restés stratégiques, ni les chances de réembauche dans la perspective d’un rebond de l’activité.
  2. Ces mouvements laisseront sur place des détenteurs de compétences et/ou de secrets des affaires susceptibles d’en faire profiter des concurrents actuels ou à venir, ce qui posera notamment et de manière concrète la question de la validité et de l’efficacité des clauses de confidentialité et de non-concurrence.
  3. La raréfaction des déplacements intercontinentaux des cadres des sièges vers les filiales et entités associées ne trouvant qu’une substitution imparfaite dans les visioconférences, le principe du “contrôle à distance” va s’imposer. Des contrats de travail jugés jusqu’alors suffisants ne le seront plus, ils devront être réexaminés en relation avec le nouvel environnement et des procédures élaborées devront venir les compléter. La question de la validité en droit local ainsi que celle du droit de l’employeur à appliquer ces nouvelles règles en cours de contrats seront essentielles.

La protection de l’employé selon les droits locaux en Asie Pacifique

En Asie-Pacifique, les droits locaux du travail et des relations sociales sont à la fois plus complexes et plus protecteurs de l’employé que l’on ne pourrait s’y attendre vu de France.

Dans les territoires régis par la common law en Asie-Pacifique, ce sont certains principes de base eux-mêmes qui sont fondamentalement en divergence.

Pour ne prendre que quelques exemples :

  • Les tribunaux dédiés aux relations sociales jugent non seulement en droit mais en “conscience et équité“, appliquant un concept (equity) inconnu en droit français.
  • Le licenciement économique peut être justifié simplement sur le fondement du droit de l’employeur à adapter l’entreprise aux circonstances, sans avoir à démontrer un état de nécessité, mais en contrepartie d’une obligation de sincérité et de transparence.
  • En cas de licenciement pour performance insuffisante, l’entretien préalable n’a pas seulement pour objet de mettre en garde, il vise à établir une coopération entre l’employeur et l’employé en vue de donner à ce dernier une chance réelle de remédier à ses manquement.
  • Dans un licenciement pour faute grave, l’enquête interne est de règle, “domestic inquiry” ou “due inquiry” et obéit à des règles strictes de fond et de forme propres à chaque juridiction.
  • Le licenciement indirect par création de conditions inacceptables par l’employé (“constructive dismissal”) est sanctionné comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Confidentialité et Non-concurrence

Les clauses de non concurrence, durant la période d’emploi et par la suite celles destinées à survivre après son expiration, ne reposent pas sur les notions de limitation dans le temps et dans l’espace du point de vue de l’employé comme en droit civiliste mais sur le concept plus large et fondamentalement différent de restriction du commerce (“restraint of trade”), principe également applicable aux clauses perpétuelles de confidentialité.

Autres règles propres à ces juridictions

Les droits nationaux en Asie Pacifique diffèrent du droit français dans des domaines aussi divers que:

  • La négociation des offres d’emploi et la préservation de la liberté de contracter de l’employeur éventuel jusqu’à la signature du contrat.
  • La justification intrinsèque des contrats de travail à durée déterminée (“fixed term contract”).
  • L’interdiction de résiliation des contrats de travail sans une cause valable même avec respect du préavis contractuel.
  • Les droits de l’employé durant la période d’essai.
  • La possibilité de “variation” de termes contractuels pour adapter l’organisation de l’entreprise aux changements majeurs affectant son environnement telles que perte de contrat commercial, diminution du marché pour les produits ou services, crise économique ou sanitaire…
  • La prévention et la réponse aux plaintes de l’employé pour discrimination à l’embauche ou en cours d’emploi en fonction de l’origine ethnique/religion/préférence sexuelle, et pour harcèlement.
  • Le travail forcé (“modern slavery”) et le travail des enfants.
  • La protection des données personnelles de l’employé.
  • La sécurité du travail, etc.

En résumé

Après la réduction du nombre et du contenu en avantages des contrats d’expatriation classiques au profit du recrutement local, s’ouvre une phase nouvelle qui concerne les responsables RH et juristes spécialisés en droit social.

La mise en œuvre des décisions rendues nécessaires par le climat dégradé des affaires devra se réaliser dans le respect des droit nationaux pour éviter de générer des conflits potentiellement longs et coûteux et de porter préjudice à la poursuite des affaires dans des marchés demeurés essentiels.

L’affaiblissement du lien de confiance entre les équipes locales et les sièges, le développement du management à distance, nécessiteront une adaptation du volet contractuel de la gestion des ressources humaines qui devra s’inscrire dans une nouvelle logique de stricte conformité aux droits nationaux du travail.

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Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.

Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.

Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).