Litiges commerciaux internationaux: Singapour marque une avancée en janvier 2023

Les trois principales institutions singapouriennes dédiées à la résolution des différends commerciaux internationaux ont annoncé en janvier 2023 deux initiatives visant à rendre la place de Singapour plus attractive. Sont concernés le centre d’arbitrage (Singapore International Arbitration Centre / SIAC), le centre de médiation (Singapore International Mediation Centre / SIMC) et la Cour Commerciale Internationale (Singapore International Commercial Court / SICC), une chambre spécialisée de la Singapore High Court sous l’autorité de la Supreme Court of Singapore.

Ce qui est remarquable est la place centrale accordée à SICC, institution judiciaire et parallèle asiatique de la Chambre Internationale de la Cour d’Appel de Paris, même en matière d’arbitrage et, ce qui est encore plus nouveau, de médiation.

Il s’agit d’une avancée majeure vers un nouveau modèle hybride de résolution des litiges commerciaux internationaux, offert aux parties comme alternative aux piliers traditionnels que sont le judiciaire, l’arbitrage et la médiation.

Pour le marquer, Singapour propose de remplacer le contenu de l’acronyme ADR, signifiant dans son acception actuelle “Alternative Dispute Resolution” par “Appropriate Dispute Resolution”.

Ceci dépasse largement la dimension sémantique, l’approche consiste à rechercher la technique la mieux appropriée en fonction des circonstances particulières de chaque cas dans le meilleur intérêt des parties.

implantations en indo-pacifique

Lettre d'information N°12 - un nouveau modèle hybride de résolution des litiges commerciaux internationaux

Les mécanismes “mixtes” ou “hybrides” ne sont pas nouveaux en Asie du Sud-Est.

Dès 2014, le Singapore International Arbitration Centre SIAC et le Singapore International Mediation Centre SIMC ont établi un protocole dit “Arb-Med-Arb” selon lequel, dans le cas où un litige soumis à l’arbitrage est résolu en cours de procédure par la médiation, l’accord transactionnel peut être enregistré comme décision arbitrale (“consent award”) ce qui permet de l’exécuter dans les Etats signataires de la Convention de New York.

En Malaisie, un mécanisme de “Med-Arb” contenu dans les “Mediation Rules 2018” permet aux parties de commencer leur tentative de règlement de leur conflit par la médiation, et en cas d’insuccès de continuer par un arbitrage conduisant à une décision exécutoire au titre de la Convention de New York.

La nouveauté de l’annonce de janvier 2023 est l’intégration du troisième pilier, l’institution judiciaire comme élément central du mode de résolution.

Pour ce qui est de la médiation, un accord a été conclu entre SICC et SIMC portant sur l’adoption d’un protocole (litigation-mediation-protocol ou LML) permettant qu’une procédure engagée devant SICC soit suspendue et convertie si les parties le souhaitent en médiation pour tout ou partie du litige.

La procédure se poursuit alors sous le contrôle de SICC, qui peut ordonner des mesures conservatoires, et en cas de succès de la médiation conférer à l’accord transactionnel le statut d’un “order of court”.

L’originalité de cette formule est que la SICC reste impliquée pendant tout le cours de la procédure sous forme d’un “case management” et peut émettre à la requête d’une partie des “interim or supplementary orders” portant sur des sujets aussi variés que:

• la nomination d’un expert, l’interprétation d’un point de droit ou d’une pièce versée à la procédure;
• le séquestre ou la cession d’un actif inclus dans le litige;
• le prononcé de mesures destinées à préserver des preuves;
• une demande de production d’un document;
• toute mesure conservatoire de nature à empêcher qu’un accord transactionnel (en cas de réussite de la médiation) ou un jugement de SICC (dans le cas contraire) ne puisse être exécuté pleinement par l’effet de la dissipation d’un actif par une partie; ou
• l’exécution d’une obligation de confidentialité.

Le Protocole va donc bien au delà d’une procédure Arb-Med-Arb telle qu’elle existe déjà à Singapour.

Il donne naissance à une médiation du troisième type, un mode hybride totalement nouveau qui combine la flexibilité de la médiation avec la rigueur d’une Cour spécialisée placée sous l’autorité de la Cour Suprême de Singapour.

Cette formule s’approche de l’arbitrage, à la différence fondamentale que la solution à l’issue de la procédure ne revêt pas de caractère obligatoire pour les parties.

Pour le reste, certains des avantages spécifiques de la médiation sont préservés.
Comme souligné dans le communiqué conjoint entre SICC et SIMC, ces avantages sont la confidentialité, la rapidité et l’ouverture à des solutions créatives de résolution du différend.

L’avantage du moindre coût de la médiation demeure également, quoique dans une moindre proportion. Des honoraires et frais doivent être payés à la fois à SICC et à SIMC, mais surtout la rémunération du ou des médiateurs (et par conséquent des conseils assistant les parties) sera en toute vraisemblance plus élevée que dans une médiation traditionnelle.

La préservation des relations commerciales sera probablement moins affectée que lorsqu’une partie déclenche un arbitrage, mais plus que lorsqu’elle propose une médiation de type classique.

En effet, dans le protocole LML, la première étape est une action engagée devant SICC, soit par application d’une clause contractuelle incluant le LML Protocol soit en son absence par décision des parties, mais dans tous les cas il ne peut y avoir de mise en oeuvre du protocole sans que l’une des parties notifie à l’autre un acte de procédure en conformité des SICC Rules 2021.

La procédure de LML a de ce fait une connotation plus conflictuelle que la médiation classique, ce qui se confirme ensuite lors du “case management” par SICC. Mais ceci est la conséquence directe de la nature hybride du modèle.

En conclusion...

La médiation selon le LML Protocol constitue bien une forme nouvelle de médiation mais amenée à coexister avec la forme originale au lieu de la remplacer, avec ses avantages et inconvénients propres en comparaison d’une médiation sous forme plus traditionnelle. Elle pourrait être plus adaptée aux litiges complexes et portant sur des sommes élevées mais pas exclusivement.

La décision finale, comme dans toute médiation, depuis le choix de recourir à ce mode de résolution du litige jusqu’à l’organisation de son déroulement et l’acceptation de la solution proposée par le médiateur, appartient aux parties.

Vous avez apprécié le contenu de cette Newsletter ? Nous serions honorés de vous compter parmi nos lecteurs. La page d’inscription est à votre disposition. Nous garantissons la confidentialité de vos données. Leur usage sera strictement limité à l’envoi de notre Newsletter. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment grâce au lien prévu dans chacune de nos Newsletter. Pour des précisions en rapport avec les thèmes évoqués ou des sujets connexes, merci de nous consulter via notre page contact.

Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.

Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.

Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).