Common law et droit civiliste

Common law et droit civiliste, dépasser les clichés pour mieux les comprendre

Assistant il y a quelques jours chez moi à Kuala Lumpur à l’un des intéressants colloques organisés par notre centre régional d’arbitrage AIAC, j’ai pu constater que la méconnaissance de “l’autre système” n’est pas réservée aux seuls juristes civilistes.

En effet, j’ai été étonné lorsqu’un éminent et brillant orateur malaisien a été incapable de répondre convenablement à une question de la salle portant sur la différence entre common law et droit civiliste. Ou plus exactement, a répondu faute de mieux et après hésitation, par la formule banale et néanmoins fausse selon laquelle la common law repose sur la jurisprudence et le droit civiliste sur la réglementation.

Un juriste de droit civiliste aurait très vraisemblablement répondu de la même façon mais à l’envers, ce qui n’est guère mieux. Étrange comme plusieurs siècles après l’entrée en vigueur du Code Civil français ce gouffre d’incompréhension persiste.

Une incompréhension majeure à dissiper

Donc, pour faire simple, la common law et le droit civiliste reposent tous les deux sur la jurisprudence et sur la réglementation et il est inexact de dire que la common law repose plus sur la jurisprudence et le droit civiliste plus sur la réglementation. C’est l’interaction entre les deux sources du droit qui les distingue.

En common law, la jurisprudence est une source autonome du droit. Elle n’est pas seulement interprétative de la réglementation, elle supplée à ses lacunes, qui d’ailleurs peuvent exister à l’intérieur même d’un texte de loi et pas seulement dans les interstices entre deux textes législatifs. En droit civiliste, la jurisprudence est purement interprétative de la loi et de la réglementation.

Il suffit pour s’en convaincre de lire en parallèle un jugement de tribunal de common law et de tribunal de droit civiliste. Dans le premier cas, le Juge (il y est autorisé et c’est même son devoir s’il y voit de l’utilité) formule une opinion sur ce que selon lui devrait être le droit en rapport avec la situation de fait qui lui est soumise en première instance ou en appel, une appréciation plus large que la simple application de la loi qui va guider sa décision.

Dans le deuxième cas le Juge s’en garde bien (cela lui est interdit) et interprète au mieux la loi en s’abstenant non seulement de s’en écarter (comme le Juge de common law) mais aussi d’y ajouter.

Le vrai rôle de la jurisprudence en common law

En droit civiliste, tout ce qui peut contribuer à l’interprétation de la loi est bon à prendre, et accueille la doctrine qui ne joue qu’un rôle secondaire quoique non négligeable en common law. En common law, ce sont surtout les “grands principes” dégagés dans la durée par la jurisprudence qui servent de guide “intellectuel” et de réflexion.

Bien évidemment, et ceci est une erreur répandue chez les juristes de common law de croire que tel n’est pas le cas, le Juge de droit civiliste tient compte la jurisprudence et la respecte dans le cheminement vers sa décision. Mais à la différence de son collègue de common law, il n’est pas strictement tenu par cette jurisprudence autrement que via le risque d’invalidation de son jugement s’il s’écarte de principes bien établis, parce que cette jurisprudence n’a de valeur qu’interprétative et que dans l’ordre civiliste seul le texte législatif ou réglementaire est source de droit.

Ce qui assure la prééminence de la jurisprudence en common law est la chaîne continue des décisions sources primaires de droit sur parfois une longue période, dont l’origine peut se situer jusque dans des jugements des tribunaux anglais du dix neuvième siècle, constituant des “blocs” cohérents de principes juridiques qui viennent se juxtaposer au corpus législatif et réglementaire.

Common law et “soft law”

Ces principes ont été dégagés non seulement par les tribunaux du lieu du litige, mais par la jurisprudence d’autre juridictions régies par la common law qui n’ont de valeur qu’indicative (persuasive but not binding) mais à laquelle le Juge peut se référer dans la formation de son opinion.

Les précédents les plus anciens auxquels le Juge de common law fait appel dans la formulation de son jugement, même de nos jours dans les juridictions d’Asie où je suis intervenant, peuvent être des décisions du Judicial Committee du Privy Council ou de House of Lords remontant dans le temps jusqu’au dix neuvième siècle.

En outre, cette “soft law” typique de la common law incorpore fréquemment et même systématiquement au niveau d’une High Court et au dessus, des décisions plus récentes de tribunaux en Australie, Hong Kong, Inde, Singapour, Nouvelle Zélande. Ceci selon un “mix” variable en fonction de la juridiction du lieu du litige, par exemple les tribunaux malaisiens font plus souvent référence à ceux de leurs collègues en Inde que ceux de Hong Kong.

Les “grands principes” de la common law au sens large intégrant la soft law née de l’intégration dans le temps et dans l’espace des juridictions lui appartenant font bien sûr penser aux “grands arrêts” du contentieux administratif en France, et effectivement pour un juriste français désireux de mieux comprendre le mode de raisonnement de la common law, l’exemple le plus proche et le plus accessible est bien le droit administratif. Dans l’un et l’autre cas d’ailleurs, autre similarité, les plus grands principes naissent de situation de fait des plus banales et où les intérêts en jeu sont parfois minimes.

“Coexistence pacifique” entre jurisprudence et législation

Le rôle de la “case-law” en système de common law est également défini, sans qu’il y ait compétition entre celle-ci et la loi comme on peut l’entendre ou le lire, par la règle selon laquelle la jurisprudence constitue la solution “par défaut” lorsque la loi (mais seulement dans ce cas) ne fournit pas une réponse. La jurisprudence coexiste ainsi avec la loi, parfois de façon explicite.

Un exemple de cette coexistence peut être trouvé dans l’article 465 du Companies Act (Cap 622) de Hong Kong qui “codifie” le devoir de soin, compétence et diligence des administrateurs à partir des principes de common law mais en les remplaçant “in place of the common law rules and equitable principles as regards the duty to exercise reasonable care, skill and diligence, owed by a director of a company to the company” tout en renvoyant dans son article 466 à la common law pour définir les sanctions en cas de violation “the consequences of breach (or threatened breach) of the duty specified in section 465(1) are the same as would apply if the common law rules or equitable principles that section 465(1) replaces applied.”

Cette “coexistence pacifique” est encore démontrée par la limite imposée à la “codification” qui ne va pas jusqu’à s’étendre aux fiduciary duties, l’autre volet des responsabilités des administrateurs dont les critères tels que dégagés par une jurisprudence constante de common law sont généralement considérés comme comportant quatre aspects: agir en bonne foi et dans l’intérêt de la société (act in good faith in the interests of the company), exercer ses pouvoirs dans un but acceptable, éviter les conflits entre ses intérêts privés et les intérêts de la société et ne pas réaliser de profits dissimulés.

Ce deuxième volet, tout aussi important que le premier, de la responsabilité des administrateurs envers la société où ils exercent un mandat de director, est laissé par le législateur de Hong Kong à la compétence exclusive de la common law jurisprudentielle.

Nous avons vu les “grands principes” de la common law au sens large intégrant la soft law née de l’intégration dans le temps et dans l’espace des juridictions lui appartenant en sont une caractéristique unique. Certes, ils peuvent être comparés aux “grands arrêts” du contentieux administratif en France, et effectivement pour un juriste français désireux de mieux comprendre le mode de raisonnement de la common law, l’exemple le plus proche et le plus accessible est bien le droit administratif. Dans l’un et l’autre cas d’ailleurs, autre similarité, les plus grands principes naissent de situation de fait des plus banales et où les intérêts en jeu sont parfois minimes. La comparaison est d’ailleurs troublante lorsque l’on considère une autre caractéristique de la common law.

En conclusion, une différence tout aussi réelle mais plus complexe que prévue

La différence entre les deux systèmes est donc à la fois moins tranchée (la loi et la jurisprudence sont deux sources du droit) et plus subtile (la jurisprudence est subordonnée à la loi en droit civiliste, elle ne l’est que par défaut mais avec valeur de source autonome de droit en common law) et doit inciter les juristes formés à l’un ou l’autre des systèmes à la prudence lorsqu’ils s’aventurent de l’autre côté de la barrière.

Dans la pratique, le raisonnement de l’avocat de l’une ou l’autre des cultures juridiques en vue de formuler un conseil destiné à son client n’est pas si différent puisqu’il doit prendre en compte la jurisprudence, mais cette dimension est en quelque sorte facultative (quoique vivement recommandable) en droit civiliste alors qu’elle est impérative en common law.

La recherche jurisprudentielle en common law est plus ardue puisqu’elle doit intégrer toute la chaine des précédents (y compris ceux de soft law s’ils peuvent servir le client) sans en omettre un seul significatif, ce qui déconcerte le juriste et plus encore le client issu d’un environnement civiliste. Dès lors que l’interprétation directe de la loi est insuffisante pour rendre compte de l’état du droit, le juriste pratiquant la common law ne peut se contenter de lire et analyser les statutes, il doit s’appuyer sur le droit autonome de la jurisprudence.

D’où une approche fondée sur les “authorities” qui ne pêche pas par manque pas de transparence, mais dont la complexité peut donner cette impression à un client français. Les apparences, pourtant, ne sont trompeuses que pour autant qu’elles ne sont pas dissipées. C’est la responsabilité du juriste biculturel en droit civiliste et en common law que d’être attentif à la double nature technique du dossier, mais aussi et surtout d’expliquer et de faciliter la fluidité des échanges en vue de conseiller ou défendre le plus efficacement possible son client.

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Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.

Philippe Girard-Foley LL.M. (Penn) est membre du Law Institute de l’état de Victoria (Australie), avocat étranger accrédité auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour, avocat conseil de la Chambre de Commerce Franco-Malaisienne et instructing solicitor devant les tribunaux malaisiens, membre du Chartered Institute of Arbitrators de Londres, branche de Kuala Lumpur, et seul avocat indépendant ayant un “correspondant organique” reconnu par l’Ordre des Avocats de Paris en Inde (New Delhi).